Pour rester dans le thème des difficultés du matin, une
épreuve encore plus délicate que le sevrage involontaire et vicieux (même si
temporaire) de café est le maquillage. Pour avoir l’air à peu près humaine et
un soupçon professionnelle, le maquillage est à peu près incontournable. J’ai
d’ailleurs de la chance de ne pas être un homme pour le coup, parce que le
maquillage me donne au moins une chance de masquer les dégâts des nuits trop
courtes et des réveils trop matinaux au lieu d’être condamnée à l’air hirsute
et hagard.
Seulement se maquiller quand on n’est pas réveillée est
un art très délicat. D’une part il faut ouvrir un œil. Puis l’autre, sous peine
d’avoir ce qui ressemblerait étrangement à un œil au beurre noir. Ensuite, il
faut essayer de faire deux œuvres relativement similaires sur chaque œil, ce
qui n’est déjà pas mon fort lorsque je suis en pleine possession de mes moyens.
Autant dire que dans le brouillard du matin, je m’en remets à la chance et au
bon génie des applicateurs d’ombre à paupière. D’un autre côté, l’asymétrique a
toujours été mal compris, il est temps de lui redonner sa juste place et de
reconnaître ses mérites - tout du moins un jour sur trois, environ. La vie est
d’ailleurs mal faite, parce que moins je suis réveillée et plus j’ai de chance
de me classer dans la catégorie punk-rock (ou génies incompris), et plus c’est
visible vu que mes yeux refusent catégoriquement de s’ouvrir plus qu’à moitié.
Une fois l’étape fort compliquée de l’ombre à paupière
franchie, avec plus ou moins de succès, on passe au mascara. Ça paraît d’une
simplicité enfantine, comme ça, seulement je ne sais pas pourquoi, mais un
phénomène étrange complique singulièrement les choses, le matin : la
brosse du mascara ET la paupière se magnétisent d’un coup, et la brosse est
attirée inéluctablement vers la paupière fraîchement poudrée pour orner l’œuvre
d’un magnifique trait en pointillé noir. Et là se pose le choix cornélien de
faire la même chose de l’autre côté histoire de garder un semblant de symétrie,
de recouvrir les dégâts avec de la poudre en supposant que l’on arrive à garder
un ensemble homogène, de recommencer toute la paupière avec patience et minutie,
ou de se recoucher.